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18 May

La Commodore (chapitre 1)

Publié par Magali Berthier  - Catégories :  #historique, #amour

avez-vous lu le prologue?

CHAPITRE 1

18 août 1895

Iles britanniques

Voilà deux mois qu'ils naviguaient sur l'océan. Chaque soir le commandant proposait à Avéra de diner en sa compagnie, mais elle refusait, toujours aux prises de son mal-être. Pourtant, ce soir-là, elle accéda à sa demande. Elle prit soin de choisir sa robe, de façon à marquer sa période de deuil.

Le commandant était un homme de grande valeur et savait naviguer aussi bien que son père. Il approchait la quarantaine. Il était séduisant, toujours galant, un parfait gentleman et un amoureux de la mer, tout comme elle ! C'était un homme imposant, d'une beauté classique sans plus. De toute façon n'importe quel homme ferait l'affaire et s'ils avaient un point commun et bien tant mieux. Pourquoi se préoccuper de quelqu'un que vous ne verrez pratiquement jamais ? Sa tante Mary été veuve d'un homme qu'elle ne voyait que quelques jours tous les trois mois. Cela serait parfait ! Sir James l'attendait debout sur le pont, et paraissait très soucieux. Il se retourna précipitamment.

- Vous ne devez pas rester ici, comtesse !

- Ah non ? Dit-elle furieuse de s'être préparée pour rien, vous ne m'aviez donc pas invité à diner en votre compagnie ?

- Non sommes suivis de près par un vaisseau de la flotte royale !

- Nous sommes aussi la flotte royale, je ne vois pas où est le problème !

- Tous les équipages ne sont pas aussi disciplinés que le nôtre, madame, je vous demande donc de rester dans votre cabine.

- Très bien faite moi savoir quand cette réclusion prendra fin.

Orageuse, elle tourna les talons et s'en alla vers son espace privé. Elle ouvrit et referma les portes de sa cabine avec violence sous le regard d'une bonne dizaine d'ahuris. Un matelot vint parler à son commandant.

- Oh, vous savez, elles sont toutes comme ça maintenant !

- Merci Charles, très rassurant ! Vous avez jamais pensé à travailler en tant que psychologue de bord ?

- Ben, en fait... Commença celui-ci.

Le commandant été déjà reparti en criant des ordres aux autres matelots !

- Surtout que personne ne mentionne la comtesse sinon, ils la voudront à leur bord.

*********

Le navire royal se rapprochait de manière régulière. Il serait là d'ici une vingtaine de minutes. Les matelots s'activaient sur le pont. Chacun effectuant ses tâches deux fois plus vite. Puis un bruit sourd se fit entendre. Les deux bateaux étaient entrés en contact.

- Commandant James McAlister, à votre service.

- Commandant Owen O'Conor. Duc de Mayo en Irlande, heureux de vous rencontrer. Votre navire est très réputé en Grande-Bretagne comme en outre-mer. Nous revenons de Tortola situé dans les îles Vierges. Vous êtes le premier vaisseau anglais que nous croisons. Nous avions espérés être reçus par le commodore, mais je comprends que des affaires le retiennent.

- Commandant, le Commodore aurait bien sûr quitté ses obligations pour venir vous recevoir comme il se doit, car c'était un homme de grande valeur avec beaucoup d'estime pour ses officiers. Cependant, il est de mon devoir de vous apprendre la récente perte du Commodore dans les îles grecques.

Le commandant parlait avec respect et sa voix triste fit comprendre au duc O'Conor l'affectation qu'avait dû causer cette perte à l'équipage. Aussi, il parla simplement.

- Que votre équipage reçoive mes plus sincères condoléances. L'estime que vous avaient pour lui m'apprend beaucoup plus sur cet homme qu'un dîner en sa compagnie.

- Au nom de tous les habitants du Floromia, je vous remercie. En effet, nous avons servi sous les ordres de ce qu'on appelle un grand homme.

- Si vous n'avez pas d'obligations plus pressantes ce soir, puis-je vous inviter à partager mon dîner ?

- J'en serais ravi.

- Et moi donc !

- Je vous rejoins dans quelques instants, le temps de donner certaines directives.

- Très bien. Ils se quittèrent donc. McAlister fit de nombreuses recommandations quant à la comtesse. Pria ses matelots de la servir avec discrétion. Puis il prit enfin la direction du navire voisin.

Les deux hommes s'entendirent tout de suite comme deux frères. L'un et l'autre issus d'une vie similaire se comprenaient parfaitement. Le dîner était bruyant de conversation. Car si leur histoire se recoupait, écossais et irlandais avaient de nombreux différents, sportifs, politiques... Cependant, ils restaient dans une atmosphère légère et fraternelle, quand un matelot entra à grands fracas.

- Moussaillons que fait...

- Capitaine, le coupa le mousse, un navire ennemi est en approche. Il a déjà sorti ses canons et menace de tirer.

La table failli se renversée sous les gestes brusques du duc. Les deux capitaines se précipitèrent sur le pont. McAlister retint O'Conor par la manche.

- Il y a une petite chose que je vous ai cachée !

Le voyant hésiter à se confesser le duc le bouscula quelque peu.

- Dites-moi quelle est cette chose sans tarder, car je vous fais remarquer que nous sommes attaqués !

- La fille du commodore est encore sur le navire. Le comte m'a prié de le ramener, saine et sauve en Angleterre à Portsmouth.

- Pourquoi me le dites-vous que maintenant et en quoi cela me concerne-t-il ?

- Je pense préférable qu'elle soit à votre bord durant cette attaque. Votre navire est plus rapide et mieux armé que le mien et je souhaite tenir ma promesse !

- Ah non ! Pas de femmes à mon bord !

- Commandant cette dame est plus qu'une femme, elle sait naviguer, elle connait tout sur la météo, sur la mer, et croyez-moi si elle était un homme, il n'y aurait pas de meilleur commandant. De plus, elle est très discrète et jamais compliquée.

- La femme parfaite selon vous !

- Selon tout l'équipage ! Eux comme moi donneraient leur vie pour elle !

- Très bien alors faites la monter et reprenez votre poste !

- Merci Owen. McAlister parti en courant vers l'autre navire. Il aperçut la comtesse sur le pont.

- Comtesse, c'est trop dangereux, il faut que je vous parle.

- Qu'y a-t-il ? Vous ne voyez pas que nous sommes attaqués !

- Comtesse passez sur le navire du duc !

- Et vous laisser ici ! Hors de question !

- Nous ne risquons rien ! Mais il vous faut nous quitter !

- Non, cria Avéra.

De l'autre côté, O'Conor observait la scène avec attention. Il hurla à ses matelots pour couvrir le bruit de l'agitation. Il traversa le pont, couru jusqu'à Avéra, la saisi aux genoux ! Avéra ne sentit plus le sol sous ses pieds. Alors qu'elle se débattait pour se libérer le duc envoya un clin d'œil à son ami, puis leva les yeux au ciel lorsqu'elle lui mordit l'épaule et griffa le cou. Il marmonna qu'elle que chose comme « ah les femmes » ! Et fit le chemin de retour avec Avéra gigotant sur son épaule.

- Matelots, nous partons ! Les voiles ! Cria-t-il à la cantonade.

*********

Après quelques perturbations, le bateau pris de la distance rapidement. Bien que mieux armé que le Floromia, le Cordial était plus léger. Une demi-heure leur avait suffi à distancer le bateau ennemi. Avéra était furax. Elle hurlait au Duc de faire demi-tour et aller se battre. Comme un homme avait-elle ajouté dans un murmure à peine audible dû moins le cru-t-elle ! Il la laissa là malgré tout, victime de ses crises de colère.

O'Conor se serait surement bien passé de sa présence, se dit-elle, mais il devra faire avec ! Après tout n'était-ce pas lui qui l'avait transporté de si grossière façon jusqu'à son navire ? Elle resta au moins deux bonnes heures face au vent avant que le froid ne la saisisse. Lorsqu'elle se retourna pour rejoindre ses quartiers, elle prit conscience qu'aucun ne lui avait été attribué. Où allait-elle dormir ? Elle se dirigea d'un pas décidé vers le commandant, et s'arrêta à quelques pas de lui. Il était en pleine conversation avec son second. Combien de fois son père lui avait dit qu'il ne fallait en aucun cas interrompre pareille discussion... Pour monter sa bonne fois aussi prit-elle sur elle d'attendre la fin de celle-ci. Cependant, ses oreilles ne purent s'empêcher de prendre le fil de la conversation.

- Vous croyez qu'elle va nous porter malheur ? Disait le second, parce qu'une femme à bord ce n'est pas un bon présage d'habitude.

- Ne vous inquiétez pas, je pense que la petite dame restera dans la cabine le temps du voyage à faire de la couture ou dormir. Il me semble que c'est ce qu'elles font de mieux non ? Répondit son supérieur avec mépris.

Ulcérée, Avéra éclata :

- Oh, vous croyez ? Je pense que vous avez oublié quelques petites choses comme « elles aiment prendre le thé avec leurs amies et pleins de gâteaux et faire la lecture »... Vous n'avez pas trouvé mieux en remarques sexistes ? Franchement, je vous plains !

Sur ce, elle tourna les talons et s'en fut vers l'avant du bateau, laissant les deux hommes pantois. Quelle idiote ! Elle était partie pour demander une faveur et à la place, elle avait insulté le Duc. Où allait-elle se réfugier à présent ? Entre les deux caisses sur le pont ? Bravo, elle avait tout gagné. Une main se posa légèrement sur son épaule, si légèrement qu'elle en frissonna. Elle se retourna sur la taille imposante du commandant. Il la fixait comme en attente d'une nouvelle vague de colère. Voyant que rien n'arrivait, il se décida à parler :

- Je suis navré que vous ayez entendu ceci, mais mon devoir est de rassurer mes hommes en toutes situations... Dit-il les lèvres pincées. Voulez-vous que je vous montre la cabine que vous occuperez ?

- Avec plaisir, répondit-elle soulagée.

Mais quelques pas plus loin, elle s'arrêta :

- Qu'y a-t-il ? Vous n'êtes pas bien ? Un malaise ? S'enquit O'Conor avec diligence.

- Vous avez dit être désolé de ce que j'ai entendu, pas de ce que vous avez dit. Vous n'en êtes point navré, n'est pas ?

- Non, je le pense réellement envers les femmes normales...

- Donc maintenant je ne suis pas normale, c'est ça ?

- Je n'ai pas dit ça, mais je pense que du fait de votre éducation navale, vous n'avez pas les mêmes centres d'intérêt que les femmes de Londres.

- Ce qui veut dire, je vous prie ?

- Rien, je n'ai rien dit !

- Trouillard !

- Enquiquineuse !

- Couard !

- Bon après ces mots d'une amabilité déconcertante, voulez-vous voir votre cabine?

- Oui !

- Suivez-moi !

- Vous recommencez !

- Quoi donc ?

- Vous ne cessez de donner des ordres...

- Et ? C'est mon métier au cas où vous l'auriez oublié ! Nota-t-il sèchement.

- Bon, je vous suis !

- Grâce au ciel!

Tandis qu'ils échangeaient ces paroles, les matelots regardaient, l'air plus qu'intéressé par la jeune femme. O'Conor dû s'en rendre compte, car il cria de se remettre au travail, ce qu'ils firent sans demander leur reste. Le Cordial était plus fin, mais tout aussi confortable que le navire de son père. Lors que O'Conor ouvrit la porte de sa cabine, Avéra ne put retenir un soupir d'émerveillement. Les tons acidulés et pétillants de l'orient avaient envahi cet espace, adouci par de nombreux coussins de soie qui ajoutaient un sentiment de confort. La cabine s'organisait autour de la banquette qui servait de lit entièrement ensevelit sous une montagne de tissus, allant du jaune d'or au rouge profond.

Cette pièce accueillante était meublée d'une bibliothèque qui retenait les ouvrages grâce à ses deux portes en verre, une planche encastrée faisant office de bureau que l'on imaginait avec peine sous les cartes maritimes, et d'un fauteuil imposant loin d'être confortable. Avant qu'Avéra ne formule quelconque remarque, O'Conor se justifia :

- Cela fait cinq ans que nous sommes en mer. Pardonnez le désordre. Je...

- C'est magnifique. Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau. Vous êtes allé en Inde?

- Oui entre autre...

Ce regard qu'elle posait sur son espace intime le gênait mais il se tut, tant le spectacle qu'elle offrait était émouvant. Elle semblait soudain très jeune. Quel âge avait-elle? Dix-huit? Vingt ans? Cette question lui rappela sa plus jeune sœur, Aignéis, qui allait fêter prochainement son vingtième anniversaire. Il avait d'ailleurs promis, à elle et à sa mère, qu'il assisterait à la fête avec son épouse. Epouse qu'il n'avait pas encore trouvée. Ce n'est pas en mer qu'on fait le plus de rencontre! Mais il tiendrait une de ses promesses. C'était déjà ça! A moins que...

- Qu'allez-vous faire une fois de retour à terre?

Étrange question qui la prit au dépourvu! Elle s'accorda quelques secondes de réflexion.

- Je vais retrouver ma tante.

- Ah oui, Mary, c'est bien ça?

- Exact, puis je savoir ce qui me vaut une telle question?

- Simple curiosité. Vous resterez à Portsmouth?

- Je ne pense pas, ma tante à tendance à beaucoup voyager, mais je suppose que nous y resterons le temps que je m'établisse.

- Vous êtes fiancée?

- Disons que cela ne saurait tarder hélas!

- Hélas? Dois-je comprendre que le mariage ne vous plait guère?

- C'est plus un devoir de tenir une promesse qu'un réel plaisir!

- Alors épousez-moi!

A cette demande ou plus exactement une ordonnance, elle écarquilla les yeux. Quel toupet!

- Je vous demande pardon?

- Suite à la mort de mon père j'ai également fais la promesse à ma mère et ma plus jeune sœur de revenir marié pour le 14 juillet de cette année, jour de l'anniversaire d'Aignéis. Épousez-moi, et nos problèmes respectifs seront résolus!

- Peut-être pour vous mais qui me dis que vous êtes un bon parti?

- Vous ne manquerez de rien je vous assure et vous ne me verrez pour ainsi dire jamais!

- Pouvez-vous m'accorder un temps de réflexion?

O'Conor sembla hésiter mais acquiesça. Il tourna les talons et s'arrêta devant la porte:

- Je vous laisse une journée, puis il partit.

******

La journée passa plus que très vite. Avéra tournait et retournait cette même question dans sa tête. Que faire? De loin, elle le voyait évoluer sur le pont, entre ses hommes qui écoutait chacun de ses ordres. Il était toujours actif. Aider à affaler ou hisser la grand-voile, crier les rappels pour rétablir l’assiette du bateau, ou encore Moucheter un croc pour empêcher le décrochage car un vent fort souffla toute la journée. L'heure était enfin arrivée. Avéra se positionna derrière lui, attendant qu'il s'aperçoive de sa présence. Peine perdu au vu de l'imposante carrure du Duc. Elle appuya un doigt sur son épaule et "toqua". Ce simple geste le fit se retourner.

- Je suis disposée à vous épouser.

Sans attendre elle repartie vers sa cabine, laissant à O'Conor le temps s'imprégner de la nouvelle.

******

Le lendemain, alors qu’elle se réveillait doucement, quatre coups sourds vinrent la tirer brusquement de la brume de son sommeil. Elle tendit la main gauche pour s’emparer de son peignoir de fortune – la « vitesse » à laquelle elle avait changé de bord ne lui avait pas permis de faire ses valises. Pas qu’elle eut de belles robes auxquelles elle tenait mais elle en avait tout de même plusieurs simples et pratiques qui auraient été les bienvenue !

Elle se couvrit donc de cet immense manteau d’homme subtilisé dans l’armoire principale du Duc. Puis elle se précipita pour ouvrir la porte. Le plus jeune des moussaillons, d’à peine quinze ans, la regardait tout sourire au pas de la porte. Comme il ne semblait pas pouvoir parler elle vint à son secours :

- Qu’y a-t-il jeune homme ?

Après un temps de grande hésitation signe d’une extrême nervosité et timidité, il lui répondit :

- Miss, le mariage commence dans une heure.

- Pardon ?

- Vous savez nous avons ramené un pasteur de Tortola, enfin c’est lui qui voulait rentrer au pays, mais il n’avait pas l’argent pour prendre un navire de croisière donc le commandant l’a pris à bord, et bref il est d’accord pour faire à cérémonie. Il en est même franchement content, ajouta-t-il.

- Où est le commandant ?

- Sur le pont Miss.

- Très bien.

Sans se préoccuper de la vue qu’elle offrait dans sa chemisette rehaussée du bleu nuit de la veste de marin du commandant, elle passa devant de nombreux matelots à leurs tâches quotidiennes. Elle se planta devant son « futur » époux.

- Me marier je veux bien mais sur un bateau un jour après la demande… Là je commence à m’énerver.

- Vous ne commencez pas très chère mais vous y arrivez fort bien ! Puis-je suggérer de rejoindre vos quartiers ?

- Non comment avez-vous osé me cacher ce « léger » détail ? Personne ne sera présent ! La honte, voilà ce que je devrai supporter toute ma vie !

- Voyons, nous ne serons pas seuls, il y aura tout l’équipage. Mais si vous préférez, nous pourrons dire que nous sommes mariés dans les îles avant notre départ en mer…

- Ce serait plus décent effectivement !

- C’est entendu. Maintenant pourriez-vous passer une tenue également plus décente ?

- Je…

Elle regarda son accoutrement et rougit violemment.

- Je suis désolée, je n’avais pas réalisé.

- Ce n’est pas grave, puis il se pencha plus près pour qu’elle soit la seule à entendre ce murmure : ma veste vous va à ravir ma chère…

Si elle n’avait pas été déjà rouge comme une pivoine cette dernière remarque aurait achevé de la confondre.

*****

Une heure, quelle durée ridicule pour tout préparer. Le banquet, les fleurs, la robe... Mais il fallait s'y résoudre, elle n'aurait rien de tout ça. Elle devrait respirer, c'est bien de respirer, ne pas oublier de respirer. Aller, ouvrir la porte, traverser le minuscule couloir, puis passer l'autre porte... Surprise, elle s'arrêta quelques instants. Louis, le plus jeune marin, l'attendait sur le pas de la porte. Son sourire jeune et plein d'insouciance la rassura malgré elle. Il lui tendit sa main qu'elle prit sans hésitation puis regarda autours d'eux. Les marins se séparaient en une haie d'honneur improvisée. Louis et elle, avancèrent sous les yeux pétillant de joie des officiers.

Owen majestueux dans son uniforme de commandant la fit pâlir. Qu'elle honte de se marier dans une robe si peu élégante. Bien sur les modes vestimentaires se succédaient sans qu'elle s'y plie, mais son père aurait sans doute préféré qu'il choisisse, pour l'occasion, une robe dans les traditions... Tant pis ! Et puis, il avait exigé d'elle qu'elle se marie, il n'avait fait aucune précision. De plus, elle ne portait plus sa seule chemise de nuit ce qui la rendait, sans rapport aucun, beaucoup plus présentable. Louis la fit d'abord pivoter sur le côté telle une poupée de chiffon pour qu'elle fasse face à Owen qui regardait la scène avec attention. Puis il se grandit pour lui déposer un baiser très tendre sur la joue. Geste qu'aurait sûrement fait son père. Elle voulut le remercier, mais il grimpait déjà le mât pour être aux premières loges.

De nouveau, elle observa Owen. Son visage impassible la regardait avec colère. Que lui valait-il une si brusque animosité ? Elle avait pourtant cédé à toutes ces exigences, à commencer par sa demande en mariage - Mais était-ce une demande ?- sans parler de la rapidité de leur fiançailles, d bateau et de la robe. De plus dans cet instant que beaucoup jugent l'un des plus importants moments d'une vie, personne de cher à son cœur n'était présent, elle était entourée d'inconnus. Puis une pensée lui vint. S'il voulait consommer le mariage? Même s'ils ne se connaissaient que depuis vingt-quatre heures, c'était son droit ! Cette idée la fit frémir.

Owen s'en aperçu sûrement car il lui prit discrètement la main. Elle apprécia ce geste mais elle fut envahi par une étrange décharge électrique. À ce regard de braise, il avait dû la ressentir aussi. Sans qu'elle le remarque, le pasteur avait déjà entamé la "cérémonie". Avéra, confuse, n'entendit que des bribes de phrases. Qu'en Owen lui pressa doucement la main elle comprit que la question fatidique lui avait été posée. Elle s'empressa de répondre "oui" d'une voix lointaine. Puis elle distingua la voix assurée d'Owen qui en faisait autant. Elle se surprit à le détester d'être si froid, si infaillible après ce qu'il s'était passé. Ou était-ce le fruit de son imagination ?

C'est alors que les matelots demandèrent un baiser pour celle l'engagement. Après un moment d'hésitation, Owen se pencha sur ses lèvres et l'embrassa très légèrement. Pourtant, cette simple caresse la chamboula littéralement. Avéra, toujours sur le navire de son père, n'avait jamais embrassé un homme. Les éclats de rire des marins la rappelèrent à la raison.

Peter, le cuisinier de bord avait préparé un véritable festin aux saveurs exotiques. Ils passèrent donc "à table". La "table" en question était composée de deux barriques d'eau qui servaient de tréteaux surmontés d'une planche de bois destinée à la réparation du bateau. Il y avait là profusion de nourriture. Un choc de couleur comme dans la cabine du commandant. Les mets étaient essentiellement basés sur le poulet et le riz. Elle reconnût sans difficulté le Curry ou la Cardamome, mais d'autre lui étaient parfaitement inconnu. Aussi, Peter lui fit découvrir le Garam, le Tandoori ou encore le Vadouvan. Les marins se relayèrent sur le pont tout l'après-midi.

Puis les musiciens s'armèrent de leur instrument et commencèrent une suite de contredanses invitant les mariés à valser sur la piste improvisée. Etant néophyte dans ce domaine, elle se fit porter pâle et regagna sa cabine. Rapidement, elle se prépara pour la nuit. Elle s'allongea pour attendre la venue du Duc. La fatigue accumulée, elle s'endormit aussitôt. Lorsqu'il arriva enfin et la vit assoupi, il en fut soulagé. Il retira sa veste de marin, qui quelques heures plus tôt avait servi de peignoir à sa jeune épouse, et l'étendit sur le sol. Il prit délicatement un des coussins sur la couche où reposait Avéra et le laissa choir à ses pieds. Il s'écroula en homme vaincu. Il était marié, enfin !

Quand Avéra s'éveilla le jour n'était pas levé, mais elle distingua une forme sur le sol. Elle le vit par terre, dormant sur sa veste en laine. La honte lui monta aux joues. Elle avait laissa son époux dormir à même le sol ! Elle se leva, prit une de ses couvertures et le borda avec la plus grande précaution, puis se recoucha, fatiguée. Le poids de la couverture l'avait réveillé. Il se força à rester immobile, respirer calmement. Surtout il attendit qu'elle se rendorme et fila avant qu'elle ne s'éveille à nouveau. Une fois sur le pont, il y eu une bonne nouvelle : la terre était en vue, ils l'atteindraient en fin de journée. Soulagé de ne pas renouveler l'expérience de la nuit précédente, il s'activa sur le bateau.

La Commodore (chapitre 1)
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