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24 Jan

Temps et Passe-temps (I. Mauvaise passe)

Publié par Magali BERTHIER  - Catégories :  #fantastique, #mondes parallèles

Premier Tome :

Damia, quatre facettes pour un monde

I. Mauvaise passe

- Tu es viré ! Cria une voix énervée.

Combien de fois avait-il entendu ces mêmes mots ? Il ne comptait plus. Cela faisait trois ans qu'il allait de job en job sans savoir pourquoi. Aucun plan de carrière, aucune similitude entre les boulots qu'il trouvait, sauf bien sûr cette dernière phrase qu'il détestait tant.

- Tu vois, tu recommences ! Tu divagues, tu rêves et tu ne fais pas ton boulot ! Lâcha sèchement son patron pour le ramener à la réalité.

Emilian remarqua les rides qui apparaissaient sur le visage déformé par la colère de son employeur du mois. La cinquantaine passée, des traits plutôt carrés et endurcis par un travail physique éprouvant, un corps athlétique conservé par ces mêmes conditions et des cheveux poivre et sel qui lui ajoutaient quelque chose d'authentique. Cet homme avait certes déjà son lot de labeur, mais la retraite ne faisait que se profiler à l'horizon.

- Je ne demande pas la lune ! Continuait-il sur un ton cassant, tu empiles les cartons et tu comptes les cartons. Aller hop ! Prends tes affaires...

Lui tournant le dos, il s'enfuyait d'un pas pressé vers son bureau et revenait quelques secondes plus tard feuilles en main.

- Voilà ta paye, il lui fourra le papier dans la poche de son sweat, et maintenant du balai.

Et une fois de plus il sortit anéanti par un nouvel échec.

Au milieu de ces immenses amas de palettes, rangées en quatre allées et séparées de dix mètres les unes des autres, il se sentit soudain très petit. Comme chaque fois qu'il tentait la traversée de cet étrange décor, il faillit se faire renverser par une demi-douzaine d'engins. Engins qui circulaient en slalomant, chargés de nombreux cartons, sur le ronron permanent de leur moteur, au rythme des « bips » incessant qu'ils produisaient. Le mois passé dans cet enfer de bruit lui revint. Cette symphonie grinçante de l'industrie à laquelle il fallait ajouter les cris des ouvriers mécontents qui faisaient grève aux pieds des larges baies vitrées du bureau du PDG, lui manquerait certainement.

Il arriva malgré tout à la station de bus la plus proche sans même une égratignure. Il aimait particulièrement l'atmosphère qui régnait dans les transports publics. Il observait toutes ces personnes pressées par le temps. Chacune d'elles transportant de nombreux secrets dont il était envieux. Il leur imaginait d'ailleurs des vies extraordinaires et palpitantes en prenant soin de faire ressortir leur côté héroïque. Côté dont il se croyait dépourvu.

Une petite dame s'arrêta devant lui. Elle lui souriait d'une manière douce et pourtant dynamique. Tout dans ses traits lui rappelait Madeleine. L'incroyable Madeleine qui l'avait adopté. Cette grand-mère devait être, elle aussi, une personne de caractère arrangeant, ayant une vie bien remplie, des projets pleins la tête et de l'énergie à revendre...

Comme elle le fixait toujours, il comprit qu'elle attendait quelque chose. Mais quoi ? Sa place bien sur, quel idiot ! Il se leva prestement et l'aida à s'asseoir.

- merci mon garçon.

Cette voix chaude et bienveillante qui appartenait seulement aux gens d'un certain âge. Un murmure rassurant au goût de miel.

- mais de rien.

Il prit le temps de l'observer. Combien de cœurs avait-elle brisé ? Ses yeux avaient le lumineux d'un ciel nuageux et la couleur de celui-ci quand enfin, il s'éclaircissait. Une silhouette petite, mais ne dit-t-on pas "plus c'est petit, plus c'est mignon" ? Ce dicton avait sans aucun doute était conçu pour elle.

- Vous êtes un gentleman comme il y en a peu jeune homme.

Malgré lui, il rougit de gêne. Que c'est humiliant cette réaction. Il prit la décision d'en rester là et s'avança vers l'avant du bus pour rejoindre la sortie. Il jeta un dernier regard vers la veille dame et descendit à son arrêt.

De sa place, Camille, la jolie mamie, assise bien sagement sur son siège le regarda sortir et laissa échapper : "je n'aurais jamais cru vivre assez longtemps pour en voir un autre". Cette phrase sortie toute seule, fut le départ d'une longue conversation avec sa voisine de transport. (c'est une autre histoire toute aussi passionnante, mais je ne peux pas tout raconter en une fois, ce serait trop long...). Revenons-en donc à notre cher Emilian.

******

- Pff ! Enfin, Julia, où es-tu ? Le métro était infernal, comme d'habitude : trop de monde, trop de bruit, et trop... D'odeur ! Ah te voilà, finit-il en voyant une chatte toute blanche faire son apparition. Elle l'accueillit avec un tendre miaulement.

- je suis passé faire deux trois courses pour ce soir. Ah au fait, j'ai une grande nouvelle, j'ai été viré... Encore une fois.

Un nouveau miaulement, que l'on aurait pu cette fois prendre pour un soupir de découragement, s'éleva.

- Ne me regarde pas comme ça. Je ne le fais pas exprès, et tu le sais ! Julia se mit à tourner en rond. Et toi ? Qu'as-tu fais aujourd'hui ?

Comme si la conversation n'était plus digne d'intérêt, elle tourna les talons et parti en direction de la chambre de Madeleine. Quelques pas plus loin, elle tourna la tête vers lui en signe d'invitation. Emilian la suivie donc. Elle se posa sur l'oreiller du lit de son ancienne maîtresse puis se faufila vers la commode. Au moment où elle prenait son élan pour sauter, elle se prit les pattes dans un vieux journal qui traînait là et se retrouva coincée dans le troisième tiroir du meuble. Emilian éclata de rire devant ce spectacle avant d'aller secourir sa chère et tendre amie qui le fixait d'un regard noir. Il tira avec force le tiroir libérant Julia qui s'en alla sans demander son reste. Emilian aperçu quelques albums photo. Prit de curiosité, il s'en empara.

******

- Madeleine je vous présente Emilian. Emilian voici Madeleine. A partir de la semaine prochaine, elle s’occupera de toi. Tu peux poser toutes les questions que tu souhaites.

L'assistante sociale prit congé. Emilian était de nature très timide, alors ne sachant que dire il préféra aller s’asseoir et attendre. De son côté la dame se retourna sur sa chaise, face à lui, mais aucun mot ne vint. Il l'observa à la dérober. Qu'est-ce qu'elle est vieille! Pourquoi vouloir adopter à son âge! Elle devait avoir dans les cinquante ans. Bon pas si vieille que ça après tout... Etrange, elle le regardait, parfaitement immobile, les yeux cherchant les siens qui eux ne voulaient que fuir.

Puis comme si tout était naturel, il s'avança et pris place sur ses genoux. Elle l'enlaça avec toute la tendresse d'une mère. Il avait douze en ans, ce qui était très vieux pour une adoption. Il avait d'ailleurs perdu tout espoir. Les plus grands l'avait traité d'idiot d'attendre ce qui selon eux n'arriverait pas, il s'était donc résigné à ne jamais connaître la vie de famille. Mais aujourd'hui tout était bien réel. Il se blottissait dans le cercle si doux et réconfortant de sa nouvelle maman.

Il se souvenait de ce sentiment de plénitude, mêlé à la reconnaissance, à l'amour naissant, à la joie d'avoir trouvé un port d'attache et à la peur qu'on lui enlève. Madeleine lui avait été prise dans sa dix-neuvième année. Ils avaient partagé sept ans de pur bonheur, et sa peine avait été immense. Elle lui avait laissé toutes ses économies et son appartement parisien. Il était rentré dans une sorte de torpeur, plus rien ne comptait, plus rien ne lui apportait de joie. Quant aux études en science économique qu'il avait entreprises à sa sortie du bac, il les arrêta tout simplement. Aujourd’hui il ne faisait qu’attendre. Attendre une idée lumineuse, attendre de savoir ce pour quoi il était fait, attendre quelqu’un qui aurait besoin de lui.

Mais pourquoi revenir sur ceci maintenant. Il referma l'album brusquement. Le replaça dans le tiroir, et le repoussa sans tendresse. La journée avait été comme toutes les autres, dure et inutile. L’eau chaude lui ferait sûrement du bien. Demain il trouvera une solution et un nouvel emploi.

Temps et Passe-temps (I. Mauvaise passe)
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